

Ce qu'on peut en retenir:
La culture de l'instantanéité dans laquelle nous baignons veut nous convaincre que notre succès doit être rapide et notre épanouissement immédiat. Si bien que quelques soient les efforts que nous fournissons pour atteindre nos objectifs, le retour sur investissement s'envisage souvent à court terme. Mais avant de trouver ce pour quoi nous sommes faits, il est parfois nécessaire de découvrir ce pour quoi nous ne sommes pas faits. S'autoriser à explorer des pistes sans garantie de satisfaction - et se donner le droit de faire demi-tour pour en emprunter d'autres, peut-être même opposées - est une forme de sagesse aussi utile que précieuse à une époque où l'urgence de réussite s'impose à nous comme une injonction tacite.
Henri Matisse
La Joie de vivre
1905-1906
En 1906, Henri Matisse présente à l'Exposition des Indépendants sa toile la Joie de vivre, évocation d'une humanité jouissant sereinement des plaisirs procurés en abondance par une nature idyllique. Inspirée tant par la baigneuses de Cézanne que par les
vahinés de Gauguin et les odalisques
d'Ingres, l'oeuvre dévoile une explo-
sion de couleurs chaudes apposées en
à-plats, sans recherche de modelé,
contenues par des traits courbes des-
sinant les silhouettes sensuelles des
corps autant que les formes sinueuses
de la végétation. Matisse, alors mem-
bre du groupe d'artistes baptisés
"Fauves" en raison de leur utilisation
inorthodoxe de la couleur, signe ici un
manifeste de son oeuvre à venir, insatiable quête d'une harmonie voluptueuse.
Mais avant de trouver sa voie dans ces surfaces colo-
Se fourvoyer pour se trouver
rées et ces lignes au tracé précis, Matisse s'est essayé à un autre style. En 1904 en effet, un an avant de commencer la Joie de vivre, il a réalisé une oeuvre au thème similaire mais à la facture radicalement
différente intitulée - d'après un
poème de Baudelaire - Luxe, calme
et volupté. Il travaillait alors dans
l'ombre de Paul Signac, chantre du
"pointillisme" qui consistait à peindre
sans contours visibles, par petites
touches de couleur distinctes les
unes des autres, afin de générer des
teintes vibrantes et lumineuses. Déçu
par cette expérience, Matisse conçoit
l'idée que "la touche divisée détruit le
dessin, qui tire toute son éloquence du contour." Une conviction qui présidera à la genèse de tous ses chefs d'oeuvres ultérieurs. Il lui aura fallu s'engager dans une impasse pour faire volte-face... et trouver le style dans lequel éclatera son génie.
Luxe, calme et volupté, 1904

